mercredi 8 avril 2015

Février 2015, Comptes et mécomptes de l'application de l'arrêt Olivet en Essonne

S'affranchir des multinationales n'est pas un long fleuve tranquille

Décidément, libérer la gestion des services publics de l'emprise des actionnaires privés, semble effrayer encore beaucoup de monde  dans le cénacle des élus locaux essonniens....

Le piètre bilan  départemental  de l'application  prévue le 4 février 2015 de la loi Barnier et de la jurisprudence Olivet est l'illustration.

Résumons les principaux éléments de cette navrante  occasion manquée de redonner à  notre eau potable la qualité, l'accessibilité à tous et la gestion raisonnée qu'elle mérite

Retour en 1995 

Pour comprendre ce qui s'est passé, il faut se projeter 20 ans en arrière, en 1995.
Les années 90, en France, c'est une période de révélations successives de différents scandales en matière de marchés publics et de délégation aux entreprises privées de services publics locaux  (DSP) essentiel : ces scandales révèlent alors une extrême complaisance de certains élus locaux à l'égard d'offres de services accompagnées de cadeaux divers et variés à leur intention ou au bénéfice de leurs partis politiques.  Des cadeaux dont la contre partie est  alors notamment la signature de contrats pour des durées délirantes (plus de 30ans) qui permettront aux opérateurs privés d'imposer  en toute quiétude des dérives tarifaires et un entretien au rabais des réseaux.
Les collectivités qui veulent rompre des contrats aussi déséquilibrés, notamment à la suite d'alternances politiques, découvrent alors que les pénalités à payer en cas de rupture anticipée sont si coûteuses qu'elles décourageront le plus grand nombre. C'est notamment le cas dans le domaine de l'eau potable, domaine caractérisé par une situation d’extrême concentration du marché autour de 3 opérateurs privés seulement, concurrents entre eux, mais toujours prêts à s'entendre pour imposer aux collectivités locales les conditions les plus défavorables.
Les scandales révélés alors sont  tels que les gouvernements successifs seront amenés à moraliser le secteur par différentes lois relatives au financement des partis politiques et descampagnes électorales, et aux marchés publics.  Parmi ces lois, la loi "Sapin" de 1992, complétée par la loi Barnier du 2 février 1995.
Cette loi fixait une  durée maximale de 20 ans pour les contrat de délégation de service public dans le domaine de l'eau, l'assainissement, les ordures ménagères et les autres déchets.
La loi Barnier s'appliquait non seulement aux nouveaux contrats, mais également aux DSP en cours en 1995, prévoyant que leur durée ne puisse excéder  de 20 ans après la promulgation de la loi, soit au-delà du 2 février 2015.
Par un arrêt célèbre du 8 avril 2009, concernant la commune d'Olivet, le Conseil d'Etat a
confirmé depuis que les délégations de service public d'une durée supérieure à 20 ans, dans le domaine de l'eau, de l'assainissement, des ordures ménagères et autres déchets, conclues avant la loi n° 95-101 du 2 février 1995 (loi Barnier), ne pourront plus être régulièrement exécutées à compter du 3 février 2015. Cette jurisprudence soumettait la poursuite des contrats  au-delà de cette date  à un avis préalable du Directeur Départemental des Finances Publiques, sur une demande de dérogation argumentée.

Une loi (une fois n'est pas coutume) en faveur des collectivités
Ce cadre légal offrait aux collectivités une opportunité exceptionnelle de s'émanciper au moindre coût et dans les meilleurs conditions d'une gestion déléguée préjudiciable à l'intérêt général. Le delai de 20 ans laissé avant l'aaplication effective de l'interruption d'office des DSP en cours,  permettaient en outre d'anticiper cette échéance, et préparer dans les meilleures conditions techniques la reprise de l'eau potable en gestion directe.

On s'attendait donc à une vague de contrats prenant fin à cette date, ou bien , au minimum, à des renégociations par les collectivités de leurs  contrats en cours à des conditions suffisamment avantageuses pour justifier la poursuite de ces contrats au-delà du 3 février 2015.

A l'échelle nationale, c'est le plus souvent cette dernière option qui a prévalu . Sauf en Essonne, où,  à la quasi-unanimité, les collectivités semblent avoir été préoccupées avant tout de préserver les positions  de leurs délégataires privés.

C'est ce qui ressort de la réponse apportée  par la Direction Départementale des finances publiques (DDFIP 91) à la demande d'Aggl'eau publique Val d'orge sur le bilan de l'application de la loi Barnier en Essonne:

 


Ah, ce qu'on est bien dans le bain des DSP longue durée!

Ce qui ressort de cette réponse, c'est que  les collectivités essonniennes tributaires de contrats de plus de 20 ans n'ont pas eu d'autre souci que d'obtenir une dérogation pour la poursuite de leurs convention de DSP au-delà de la date butoir. Sauf informations contraires, quasiment aucune n'a saisi l'opportunité de la loi Barnier pour faire pression sur son délégataire en vue de conditions financières plus favorables à la collectivité et aux usagers. C'est notamment le cas pour les 5 communautés d'agglomération  qui couvrent l'essentiel de la zone urbanisée de l'Essonne sous la coupe de Suez-Environnement (Lyonnaise des Eaux), et pour le syndicat du Hurepois (intégré depuis 2014 au SIERE, syndicat intercommunal des eaux entre Remarde et Hurepois).

Triste constat, bien au contraire, la dernière enquête du conseil général de l'Essonne sur l'évolution du prix de l'eau  entre 2005 et 2010(téléchargeable ici ), démontre une augmentation des prix pour ces collectivités supérieure à l'inflation. 
Avec une mention spéciale pour  la mansuétude des communes de Sainte-Geneviève-des-Bois, Brétigny-sur- Orge et Plessi-Pâté à l'égard de Lyonnaise des eaux:  leur demande de prolongation de leurs conventions avec cette société  au-delà de 2015 (respectivement pour des durées de 25, 28 et... 30 ans!) s'est accompagnée d'un surcoût important ( à travers la prise en charge par les usagers et le budget de la CAVO de l'essentiel soit 68,5% du coût des travaux de remplacement des branchements plomb incombant à la Lyonnaise).

Si les prolongations de contrat sollicités auprès de la DDFIP 91 ont toute obtenu un avis favorable (quelques fois avec des réserves) il ne faut malheureusement pas y voir un quitus de gestion économe des deniers publics donné aux collectivités demandeuses.
En effet, il faut savoir que les directions départementales ont reçu en juin 2013 des consignes très fermes du ministère des Finances pour dissuader les communes de "réinternaliser la gestion de certains services locaux"). Le motif de cette injonction? Incroyable, mais vrai:  il s'agit " d'éviter l'alourdissement de la charge du travail de contrôle des services de l'Etat",  qu'induirait la création de régie publiques, au moment d'un dégraissage vigoureux des effectifs de ces services (pour accèder à cette circulaire, cliquez ici ).
Pas étonnant, dans ces conditions, que toutes les demandes reçues aient été validées par la DDFIP

Des élus tous sous emprise? Mais non, Briis ouvre une autre voie.

L'eau potable est-elle  vouée pour l'éternité dans la majorité de notre département  à rester sous la domination des opérateurs privées? Mais non, il existe fort heureusement des contre exemples qui apportent la preuve qu'il est possible de choisir une autre voie. C'est le cas des agglomérations des lacs de l'Essonne et d'Evry Centre Essonne qui ont su saisir l'occasion de l'échéance de leur contrat pour créer leurs régie.
Mais c'est aussi l'exemple d'une bourgade peuplée d'irréductibles usagers qui ont décidé,   sur proposition de leur chef,  de bouter l'envahisseur hors de leurs canalisations. Il s'agit de Briis-sous-Forge, dont la présence sur la liste ci-dessus des dérogations accordées par la DDFIP témoigne d'une volonté déterminée d'émancipation. En effet, la prolongation demandée, d'une durée d'un an maximum, vise tout simplement à créer les meilleures conditions de démarrage de la régie publique décidée à compter de 2016 pour la distribution de l'eau potable de la commune. On ne le dira jamais assez: Là où il y a une volonté, il y a un chemin.




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